Yuri Glazov: Dans la contrée
de nos pères.
Chapitre douze
Je m’étais lié d’amitié alors avec
Lena Stroieva et Yura Titov. Sorti de la maison de fous, où on les
avait internés une énième fois pour avoir participé à une démonstration
de gens qui voulaient partir en Israël, ils discutèrent le plus sérieusement
du monde si oui ou non il fallait partir. La mère de Lena Stroieva,
épouse d’un ancien diplomate, savait par expérience personnelle ce
qui se passait en Occident et essayait avec l’énergie du désespoir
de les convaincre, non seulement de ne pas partir, mais aussi d’oublier
une fois pour toute l’idée même de partir. Elle se faisait plus spécialement
des soucis pour sa petite-fille, disant que les rues de Paris seront
son triste destin. Lena, énervée, avec des yeux qui crachaient le
feu, ne voulait pas écouter sa mère tandis que Titov, flegmatique,
faisait des plans en rapport avec l’exposition de ses tableaux et
la construction d’une gigantesque église du Saint-Esprit. Les tableaux,
où Yura peignait Jésus-Christ, m’impressionnaient beaucoup.
J'avoue, je ne connaissais pas très bien
mes nouveaux amis et je ne pouvais m’imaginer ce que le destin réservait
à cette famille. Ils étaient partis en Occident, mais après six mois
ils en avaient assez de l’Occident et ils avaient envie de rentrer
en Russie. Les collaborateurs de l’ambassade soviétique à Paris les
cuisinaient fortement. Voyant que leur retour à Moscou ne se fera pas,
Lena Stroieva, fille profondément croyante de l’Eglise Orthodoxe, se
pendit en septembre 1975. Mais entre temps Lena sentait que c’étaient
leurs dernières semaines à Moscou. Ils avaient des relations presque
amicales avec le représentant du KGB qui les filait, ce qui me laissa
perplexe. C’est sur cette note-là que Lena invitait le représentant
du KGB à venir dans leur appartement après leur départ pour s’y souvenir
d’eux. Le KGBiste leur répondit le plus sérieusement du monde : "Ce
n’est point l’appartement mais ses habitants qui nous intéressent!".
En tout cas, nous connaissions très bien leur but.
|