A. FLEGON, extrait du
livre: « Soljenitsyne,
un prophète? »
Différents prêtres occidentaux venaient
à Moscou et s’émerveillaient du travail du jeune peintre Yuri Titov.
Il peignait des sujets religieux, des faces, de mystérieux petits
navires. Dans les livres occidentaux sur l’Eglise en Russie, ses
tableaux furent souvent reproduits avec des articles thuriféraires.
Souvent, il paraissait des matériaux sur lui dans la presse russe des émigrants.
Pour moi, comme pour beaucoup d’autres, qui le connaissaient à travers les articles,
Yura Titov était une figure exceptionnelle. Je n’oublierai jamais comment une
de mes connaissances russes, m’ayant rencontré dans la rue à Londres, m’annonça
d’une voix excitée :
- Dis! Titov est arrivé. On vient de l’annoncer
à la radio londonienne.
- Où? Où est-il arrivé?
- A Rome. Mais sans peintures. Les salauds du KGB
ont brûlé tous ses travaux à l’acide chlorhydrique dans l’avion.
Rapidement, les détails de l’arrivée du fameux peintre firent leur apparition
dans le "Posev" et dans d’autres journaux. L’arrivée de Titov suscita une réaction
digne d’un événement mondial.
Yura Titov vint avec son épouse et sa fille. Tous les trois étaient heureux et
espéraient un futur radieux, selon le prêtre Bordo et ses amis. Mais le destin
leur réserva un autre futur. En premier lieu, quasiment personne de ceux qui
l’avaient glorifié quand il était encore en URSS, ne voulait sortir de l’argent
et acquérir ses tableaux religieux. Il est une chose que d’écrire dans la presse
à propos de la renaissance religieuse en URSS, du peintre russe génial qui était
inspiré par le Saint-Esprit; une autre que de mettre la main à la poche et acheter
un tableau à la valeur douteuse. Tant que Titov était à Moscou et se battait
contre le système soviétique, il était un peintre génial, mais du moment où il
apparut en Occident, sa génialité disparut. Apres une tintamarre de quelques
semaines, les Titov comprirent la dure réalité. Les tableaux ne se vendaient
pas, mais il fallait bien nourrir trois bouches. Une de mes connaissances, voyant
leur situation désespérée, les hébergea tous les trois chez elle. Mais combien
de temps peut-on entretenir trois personnes? Titov, à qui la presse mondiale
mit dans la tête, encore en Russie, qu’il était un peintre génial, refusa tout
travail, si ce n’est le tartinage de ses saints tableaux.
Après de nombreux problèmes, on logea la famille Titov dans un foyer de peintres
parisien. Mais là, on ne leur donna qu’un logement. Pour manger, il fallait gagner
de l’argent. Les tableaux ne se vendaient pas. Titov entra dans ses toilettes
avec ses tableaux religieux et annonça qu’il faisait la grève, ayant claqué la
porte derrière soi. Il décida de ne plus sortir de là jusqu’à sa mort. Les autorités
françaises le transférèrent à l’hôpital.
Sa femme, Lena, essaya de trouver un travail, mais il n’en résulta rien. Elle
ne trouva pas de travail dans sa spécialité. Même pour de saints peintres, il
était impossible de vivre d’air pur et d’amour. Lena Titova s’adressa à l’ambassade
soviétique pour que l’on les permît de rentrer en URSS, où il y avait un entourage
plus compréhensif. Il ne faut pas oublier qu’en URSS ils vivaient en haut de
la pyramide sociale des dissidents. Lena Titova avait un bon amant, un certain
Boukovski. Il est vrai que son mari le trouva un jour dans une position délicate
et, usant de son avantage physique et psychologique - le droit du premier -
lui asséna un oeil au beurre noir. Mais le brave Boukovski ne se laissa pas impressionner
par ces quelques détails et renia pas son amour pour autant. (pp.122-124)
...Quand Soljenitsyne fit son apparition en Occident, il y eut une nouvelle lueur
d’espoir pour les Titov. Si au pays ils avaient quelque différend, tous les petits
griefs du passé s’oubliaient en exil, et le sentiment d’être étranger rapproche
et lie (comme les gens d’un même village ou les copains de classe dans un camp
d’été). Mais le nouveau messie, se trouvant à l’Occident, refusa d’héberger la
famille du peintre qui avait dédié toute sa vie à la religion chrétienne. L’espoir
que le messie voudra bien se donner la peine d’acheter ses œuvres créées en URSS,
voyant leur situation désastreuse, éclata comme une bulle de savon.
Quand leur connaissance et compatriote, le violoncelliste Rostropovitch, arriva
à Paris, les Titov, désillusionnés, insultés, faillites, malheureux et perdus,
n’avaient plus le courage d’aller saluer la star. Ils aimaient et respectaient
Rostropovitch, mais ils se posèrent, horrifiés, la question :
- Quid s’il nous outragera comme le grand combattant
pour la paix mondiale, Alexandre Isaievitch (Soljenitsyne)? Là-bas, nous nous
sentions tous égaux et nous ne nous évitions pas. Mais ici? Lui aussi, il a quand-même
de l’argent.
Et après de longs doutes, questions, soucis et souffrances tant spirituelles
que physiques, Lena prit le seul chemin qu’il lui resta : elle se pendit, maudissant
l’émigration russe et sa presse, qui les avait attirés en Occident.
Après sa mort, le journal "Le Monde" publia un article très complimenteur sur
cette femme russe distinguée, ce combattant intelligent et brave contre le communisme,
l’amie du genre humain Lena Titova. Il va de soi que l’on ne souffla mot dans
l’article que cette femme remarquable fut tuée par la communauté vigilante d’émigrés
russes. L’article du journal français faisant le plus autorité ne mentionna aucunement
le fait que Mme Titova se suicida; les lecteurs français pleurèrent encore une
fois le manque de moyens de la médecine dans le combat contre la maladie.
A quoi bon savoir ce qui n’arrange pas l’espionnage américain et ce qui joue
dans les cartes de la propagande communiste?! Pourquoi la presse occidentale
devrait-elle prévenir les futures victimes?! Cela ne fait qu’accommoder le communisme.
Mais si les gens se pendent, ça, ça arrange la propagande occidentale, puisque
cela donne la possibilité de publier un article à vous faire pleurer sur une
énième victime du communisme.
Le journal "Le Monde" est considéré
comme de gauche en France (pp.126-127).
|